看见<<观点>> (Le Point) 七月刊的此文, 有意思.
touche, xw 同学有兴趣的话, 权当课外读物吧.... :)
Voltaire-Rousseau, la guerre sans fin
Roger-Pol Droit
Ces deux monstres sacrés incarnent l’esprit des Lumières. Génies multiformes, écrivains et philosophes, mais aussi poètes, dramaturges, polémistes, ils ont construit un large pan de la culture française moderne. Voltaire, à nos yeux, incarne la lutte contre le fanatisme. C’est avant tout l’homme de la tolérance, dont l’enseignement passe par la satire et le rire. Rousseau, pour nous, se confond avec l’égalité citoyenne. C’est le héros de la vertu simple et de la République. La Révolution française les a célébrés comme des pères. Réunis au Panthéon, ils furent chargés de symboliser les valeurs fondatrices inscrites au fronton des mairies. Et pourtant, on l’oublie trop souvent, Voltaire et Rousseau se sont déchirés autour d’une question de fond : à qui faire confiance, la société ou la nature ? Voltaire soutient les sciences, le progrès technique, la croissance et le confort. Rousseau défend la pureté naturelle, la voix de l’instinct, la vie simple. Revenir aujourd’hui sur ce vieil affrontement est éclairant. Car on retrouve sa présence, en filigrane, dans la plupart de nos débats de l’heure, de la médecine aux OGM, de l’éducation à l’environnement.
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Quelle guerre ? Ces deux gloires de la France des Lumières ne sont-elles pas liées à jamais ? Tous ceux qu’a émus aux larmes la mort de Gavroche dans « Les misérables » savent bien que « la faute à Voltaire » s’unit, dans la même ritournelle, à « la faute à Rousseau ». Ce n’est pas un hasard si la Révolution française les a installés l’un à côté de l’autre au Panthéon, Voltaire en 1791, Rousseau en 1794. Ennemis du despotisme, amis des libertés, écrivains et poètes autant que philosophes et consciences publiques, ils semblent avoir mené les mêmes combats. « Je fais la guerre », proclamait Voltaire. Rousseau, à l’évidence, pouvait en dire autant. Malgré tout, il se pourrait que leur proximité, évidente à nos yeux, existât plus dans notre regard que dans leurs combats réels.
Car leurs cibles, en réalité, ne sont pas les mêmes. Si Voltaire ferraille contre le fanatisme, les superstitions, les préjugés contraires à la raison, Rousseau, lui, choisit de s’attaquer aux progrès des sciences et des techniques, à l’hypocrisie et à l’égoïsme des civilisés. Quand Voltaire veut la démystification, Rousseau cherche l’authenticité. Il n’est donc pas du tout certain que leurs deux démarches s’ajustent. A y regarder de plus près, il apparaît que tout oppose Voltaire, génie de la satire, et Rousseau, penseur de la nature.
Côté Voltaire, l’obsession de réussir. L’homme travaille nuit et jour à construire sa renommée, ses réseaux, sa fortune et son pouvoir, qui tous finissent par être considérables. Avide de briller, de batailler, de rire et de jouir, il fait l’éloge du luxe et de la propriété, multiplie les bons mots et les conquêtes féminines. Côté Rousseau, le monde des petites gens. Jean-Jacques est laquais, secrétaire, copiste de musique, se méfie des raffinements excessifs et les juge pervers. Taraudé par la pureté, habité par le désir impérieux d’avouer tout ce qu’il a fait, Rousseau cherche à se rendre transparent, à se faire aimer en se montrant tout entier.
Ne s’agirait-il donc que d’un conflit de tempérament, du choc de deux sensibilités ? D’une affaire du XVIIIe siècle ? Du divorce entre société de salons et naissance des émois romantiques ? Rien n’est moins sûr. En scrutant la querelle qui a opposé ces deux figures, on s’aperçoit que leur antagonisme engage des conceptions totalement inconciliables de l’homme aussi bien que de la nature, du progrès, du politique. On découvre que ces deux contemporains ne se sont jamais rencontrés-sauf une fois, à Paris, vers 1750-, mais qu’ils n’ont jamais cessé de se lire, de se jauger, de ne pas se comprendre et finalement de se déchirer.
En réalité, le duel entre ces deux monstres géniaux inaugure les temps modernes. Ce n’est pas un épisode lointain d’une histoire de la pensée. C’est l’apparition d’une fracture, dont on découvrira qu’elle est toujours à l’oeuvre, en sous-main, dans bon nombre de débats de notre actualité culturelle, sociale ou politique.
Acte I - Admiration contre indifférence
Où l’on découvre un jeune homme hypersensible et une star surchargée.
On devient parfois sérieux quand on a 17 ans. Jean-Jacques, revenant de Turin, s’installe à Annecy chez Mme de Warens, celle qu’il appellera « Maman ». Elle lui apprend bientôt le latin, l’amour, la philosophie et les manières. « J’avais trouvé quelques livres dans la chambre que j’occupais », écrira-t-il plus tard. Parmi eux, « La Henriade », grand poème de Voltaire, où il découvre qu’il faut « un t à la troisième personne du subjonctif ». Sans doute est-ce là la première rencontre de Rousseau avec l’oeuvre de Voltaire, auteur déjà fort célèbre, dont la renommée, bien établie, est alors surtout celle d’un poète et d’un dramaturge.
Ce Voltaire-là devient vite l’auteur favori du tout jeune Jean-Jacques. Mieux : il constitue son modèle, son idéal d’écriture. Deux ans plus tard, en 1731, quand Jean-Jacques rejoint « Maman » à Chambéry et se lie d’amitié avec M. de Conzié, c’est l’enthousiasme : « Rien de ce qu’écrivait Voltaire ne nous échappait. » Dans « Les confessions », Rousseau reconnaît encore que les « Lettres philosophiques » de Voltaire, en 1734, fut le livre qui « l’attira le plus vers l’étude, et ce goût naissant ne s’éteignit plus depuis ce temps-là ». Indiscutablement, le jeune homme a pour son aîné admiration et même tendresse. « [...] et toi, touchant Voltaire / Ta lecture à mon coeur restera toujours chère ».
Touchant ? L’auteur qu’admire le jeune homme n’est pas le persifleur, le mondain, le polémiste frondeur. C’est l’auteur de « Mérope », de « Zaïre » ou d’« Alzire », pièces oubliées qui faisaient alors la gloire de Voltaire. En 1737, on joue « Alzire » à Grenoble. Dans la salle, Jean-Jacques, 25 ans, manque de s’évanouir d’émotion : « Je ne laissai pas d’y être ému jusqu’à perdre la respiration ; mes palpitations augmentèrent étonnamment, et je crains de m’en sentir quelque temps. » Ce qui le bouleverse ? Tout ce qu’il trouve « grand », « sublime », « pathétique » dans ce théâtre qui nous semble plutôt boursouflé de passions d’un autre temps. Dans les tirades d’Alzire, princesse péruvienne, nous avons quelque difficulté à trouver autre chose que matière à sourire. Mais un passage de ce genre a dû toucher Rousseau :
« Vous voyez quel effroi me trouble et me confond :
Il parle dans mes yeux, il est peint sur mon front.
Tel est mon caractère : et jamais mon visage
N’a de mon coeur encor démenti le langage.
Qui peut se déguiser pourrait trahir sa foi ;
C’est un art de l’Europe : il n’est pas fait pour moi. »
Si le jeune Rousseau rêve d’imiter un jour le grand Voltaire, qui a dix-huit ans de plus que lui, c’est que personne ne lui paraît forger des vers si sonores et si souples, mettre en scène des sentiments si nobles, parvenir à rendre si sensibles les vertus, la grandeur des âmes et la vivacité de leurs transports. C’est pourquoi, quand Jean-Jacques écrira à Voltaire, en 1745 : « Monsieur, il y a quinze ans que je travaille pour me rendre digne de vos regards », comme toujours il sera sincère. Cette fois, enfin, le débutant qui commence à se faire connaître dans les salons va travailler pour le maître !
Mais ce n’est qu’un travail fastidieux, dont Voltaire se désintéresse complètement. Il s’agit de réduire à un acte, pour la jouer à la Cour, une comédie-ballet en trois actes écrite par Voltaire sur une musique de Rameau. Rousseau, qui commence à se faire remarquer comme musicien et comme poète, est chargé de la besogne par le maréchal-duc de Richelieu. Il réduit le texte de moitié, rédige les raccords, arrange la musique et compose même une nouvelle ouverture. Quelques jours seulement avant la représentation des « Fêtes de Ramire », où il ne se rendra même pas, Voltaire précise à Rousseau qu’il s’en remet entièrement à lui, le félicite pour son double talent, et ajoute sans se fatiguer : « Je compte avoir bientôt l’honneur de vous faire mes remerciements. » Pour autant que l’on sache, ce ne fut jamais le cas.
Voltaire est en effet bien trop occupé. Il vient d’être nommé historiographe du roi et triomphe à la Cour. Le rimailleur insolent que poursuivaient des sbires et des gendarmes appartient au passé. Le philosophe qui a fait connaître aux Français Newton et Locke s’est estompé derrière l’ami des princes. Il compose « Zadig », l’un de ses contes majeurs, gère au mieux la fortune qu’il a construite, entame une liaison avec Mme Denis, fille de sa soeur, correspond avec Frédéric II, qui l’accueillera bientôt en Prusse. Qu’aurait-il à faire d’un petit musicien genevois ?
Acte II - Une mésentente cordiale
Où le jeune homme s’affirme tandis que le maître se moque gentiment de lui.
D ans les années qui suivent, Rousseau commence à être connu. Il fréquente Diderot, Grimm, Condillac. Secrétaire de Mme Dupin, il a ses entrées dans le salon de Mme d’Epinay. Sa liaison avec Thérèse Levasseur, qui n’est pas vraiment une marquise, prête à sourire chez ce beau monde. Mais tous ignorent qu’il a déposé aux Enfants trouvés deux nourrissons nés de cette union. Pour l’« Encyclopédie », le grand ouvrage du temps, machine de guerre du parti des Lumières, d’Alembert lui a commandé plusieurs articles sur la musique. Bref, même si ce jeune homme n’a pas encore publié grand-chose, c’est un nom qui monte.
Octobre 1749. Jean-Jacques rend visite à Diderot, alors emprisonné au château de Vincennes, comme il arrive à l’époque aux philosophes. En chemin, il lit le sujet d’un concours proposé par l’académie de Dijon : « Si le rétablissement des sciences et des arts a contribué à épurer les moeurs ». A ces mots, le voilà, d’un coup, comme foudroyé. Palpitation, larmes, « trouble inexprimable », « étourdissement semblable à l’ivresse »... on ne saura jamais ce qu’il a vécu dans ce moment où les émotions le submergent tandis que les idées se bousculent. Les différents récits par Rousseau de cette scène fondatrice montrent qu’un tournant de son existence s’est joué là. « A l’instant de cette lecture, je vis un autre univers et je devins un autre homme. »
Arrivant auprès de Diderot, Rousseau se trouvait encore « dans une agitation qui tenait du délire »... Son ami Denis l’écoute, l’encourage, l’incite à développer, à écrire, à concourir. De cette extase a découlé, selon Rousseau, une grande partie de son oeuvre. Elle renferme son intuition philosophique centrale. Il va la développer d’abord dans le « Discours sur les sciences et les arts », qui remporte le prix, devient son premier livre publié et fait naître sa notoriété. Il l’approfondit, quatre ans plus tard, dans la critique des progrès techniques et de la propriété contenue dans le « Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes ». Dans les ouvrages de sa maturité, il en poursuivra encore les conséquences : transformations de l’éducation décrites dans l’« Emile », mutation du pouvoir politique analysée dans « Du contrat social ».
Mais qu’a-t-il donc vu ? Ce qui étreint Jean-Jacques, depuis toujours peut-être, c’est le divorce artificiel qui s’est introduit en nous, les civilisés, entre le coeur et la raison. Trop souvent, la réflexion vient arrêter dans notre coeur les élans spontanés de la pitié. Ces impulsions naturelles ne peuvent cependant être totalement extirpées : la pire crapule n’est jamais « sans coeur » en toutes circonstances. Il faut donc distinguer « l’homme de la nature », toujours prêt à s’émouvoir du sort de ses semblables, continûment capable de les comprendre par le coeur, et « l’homme de l’homme », artificiel, égoïste, insensible et calculateur. Ce qu’entrevoit Rousseau, dans son extase, ce jour-là, c’est bien que la nature en nous est entravée, déformée, mais nullement étouffée ni détruite.
Par la suite, il s’efforcera d’abord de comprendre, au fur et à mesure, le mécanisme de ce dédoublement, la façon dont l’Histoire a fini par empêcher l’homme de réaliser sa nature. Puis il cherchera le moyen de restaurer la perfection de la nature au sein même de la société. Car il ne s’agit évidemment jamais pour lui d’imaginer qu’on puisse revenir en arrière, dissoudre la société, effacer les sciences pour rejoindre la nature comme si elles n’avaient jamais existé.
Et voilà précisément ce que Voltaire ne comprend pas et surtout n’admettra jamais. Il croit-ou feint de croire-que Rousseau propose une régression, un retour « à quatre pattes », pour « manger de l’herbe ». Or cet ami du progrès, confiant dans les sciences, ce prince des Lumières est aux antipodes d’une apologie de la pure nature. En 1736 déjà, dans « Le mondain », Voltaire proclamait : « J’aime le luxe et même la mollesse, / Tous les plaisirs, les arts de toute espèce, / La propreté, le goût, les ornements. » Les bienfaits de la civilisation sont indéniables, la barbarie est du côté de l’ignorance, la vertu naît avant tout de l’éducation, non de la spontanéité sauvage. Telles sont, de bout en bout, ses convictions profondes.
Le clivage, désormais, n’est plus affaire de caractère ou de milieu social. C’est un choix fondateur qui oppose Voltaire et Rousseau. Objet du désaccord : la définition même de l’humain. Options incompatibles : la primauté de la culture, ou celle de la nature.
Option Voltaire : seuls le savoir, le travail, les échanges, la longue et patiente accumulation des connaissances acquises peuvent transformer ces brutes que nous sommes en citoyens plus ou moins civilisés, capables de vertus, d’honneur, de créations. Livrée à elle-même, la nature est inerte, rugueuse, voire menaçante et destructrice. Elle est en l’homme source de fanatisme et de violence. Seul l’artifice humanise. Tout ensauvagement est régression.
Option Rousseau : dans le fond, seule la nature est bonne, tout ce qui en éloigne déforme et détériore. Nous ne sommes pervers, cruels ou inhumains qu’à la mesure de la dénaturation que nous font subir nos connaissances, nos artifices et nos rivalités fabriquées. Retourner à la nature-en nous plus encore que hors de nous-, c’est revenir à la santé, à la paix, à l’ordre authentique. Les artifices de la civilisation sont des maux, non des remèdes. Il convient de les défaire ou de les contourner.
On ne saurait rêver duel plus radical. Mais les protagonistes ne semblent pas encore s’en être clairement rendu compte. La tension monte, mais le ton demeure badin. Certes, Voltaire est furieux quand il lit le passage fameux où Rousseau, dans le deuxième « Discours », s’en prend à la propriété et regrette qu’on n’ait pas « arraché les pieux » ou « comblé le fossé » le jour où fut pour la première fois « enclos un terrain ». « Voilà la philosophie d’un gueux qui voudrait que les riches fussent volés par les pauvres », note Voltaire dans la marge de son exemplaire. Publiquement, pourtant, il se contente encore de s’amuser des étranges lubies de ce nouveau venu. Ce garçon a décidément des idées curieuses, il suffira de faire rire à ses dépens. D’ailleurs, il travaille avec les philosophes et participe à l’« Encyclopédie », ce n’est donc pas un ennemi. Il commence à connaître un indéniable succès. Ce tâcheron obscur, un rival ?
Acte III - Ruptures, injures et violences
Où chacun à sa manière en vient à déclarer sa haine.
En dépit de tous leurs désaccords, les deux hommes sont donc encore loin d’avoir publiquement rompu. Pendant plusieurs années, les critiques restent courtoises, les relations distantes mais polies. Rousseau peut critiquer les méfaits du luxe, dénoncer le leurre des progrès, mettre en cause la propriété et les inégalités sociales, Voltaire choisit de ne pas le prendre au sérieux. Quand un tremblement de terre fait au Portugal des milliers de morts innocents, le 1er novembre 1755, Voltaire critique aussitôt, dans son « Poème sur le désastre de Lisbonne », la croyance en la providence. Alors que Rousseau réplique pour prendre la défense de l’idée de providence, Voltaire lui répond sans acrimonie. On est encore entre philosophes. Désaccord : oui, destruction : non.
Mais, trois ans plus tard, Jean-Jacques commence à aggraver son cas. Dans sa « Lettre à d’Alembert sur les spectacles », il prend fait et cause pour le maintien de la prohibition du théâtre à Genève. Voltaire avait fait construire un théâtre dans sa propriété proche de Genève. Une part de la bourgeoisie genevoise y allait jouer ou voir jouer ses pièces et celles d’autres auteurs. La rigueur calviniste de Rousseau, qui le pousse à condamner le théâtre pour immoralité, n’est pas simplement ridicule et dépassée aux yeux de Voltaire. Elle vient compliquer ses démêlés avec les pasteurs, brouiller ses relations avec les autorités de la ville, affaiblir une position à laquelle Voltaire tient particulièrement. Malgré tout, cette fois encore, Voltaire persiste à ne pas prendre Rousseau au sérieux.
Jusqu’à ce jour de juin 1760 où Rousseau adresse directement à Voltaire cette lettre extraordinaire où, tout en l’assurant de son admiration et de son respect intacts, il lui dit « je vous hais » et lui en explique les raisons avec ce mélange de sincérité et d’outrance dont il est coutumier. Jean-Jacques, il est vrai, ne va pas bien : il se brouille, à cette époque, avec Diderot, avec Grimm, avec Mme d’Epinay. Il se croit persécuté de tous, en butte à des complots, exposé à toutes sortes de rumeurs. « Je voudrais que Rousseau ne fût pas tout à fait fou, écrit Voltaire à d’Alembert, mais il l’est. Il m’a écrit une lettre pour laquelle il faut le baigner et lui donner des bouillons rafraîchissants. »
Pourtant, quand on lit attentivement le texte de Rousseau, il exprime plus sa souffrance et sa propre déception que sa détestation de Voltaire. Toutefois, le moment est des plus mal choisis. Les philosophes, Voltaire en tête, sont en butte à une attaque en règle. Palissot de Montenoy, dans sa comédie « Les philosophes », dépeint Voltaire et ses amis comme autant de corrompus cyniques attaquant sans scrupules tout ce qui n’appartient pas à leur coterie. Et voilà justement le moment que choisit Jean-Jacques pour clamer sa haine ! Aux yeux de Voltaire, ce n’est plus folie douce, mais trahison. Jean-Jacques n’est plus un benêt. C’est un Judas, un faux frère, un compagnon de route passé à l’ennemi. Un « inconséquent », un « coquin ». Cette fois, un homme à abattre.
« Je n’aime ni ses ouvrages ni sa personne », dit à son tour Voltaire à propos de Rousseau. Désormais, plus rien ne retiendra ses invectives. « La nouvelle Héloïse », ce roman de Rousseau qui déclenche l’enthousiasme des premiers lecteurs ? « Sot, bourgeois, impudent, ennuyeux », ce n’est que « l’oeuvre d’un polisson malfaisant ». « Du contrat social », qui prépare la pensée de la Révolution ? « Insocial », « peu sociable », digne d’un « philosophe des Petites Maisons » c’est à dire de l’asile de fous. L’« Emile », qui fonde à sa façon la pédagogie moderne ? « Fatras d’une sotte nourrice. » Ce n’est pas encore le pire.
A l’automne de 1764, Rousseau publie « Lettres écrites de la montagne », où il fait dire à Voltaire : « J’ai tant prêché la tolérance ! Il ne faut pas toujours l’exiger des autres et n’en jamais user avec eux. » Plus encore, l’ensemble acccuse Voltaire d’être complice des persécuteurs de Rousseau, de préférer les plaisanteries au raisonnement, de ne pas croire en Dieu et autres gentillesses. « On a pitié d’un fou , réplique Voltaire , mais quand la démence devient fureur, on le lie. » Alors Voltaire se déchaîne et n’hésite plus devant aucun moyen.
Le secret de Rousseau le plus intime, connu seulement de quelques proches, il le dévoile, et en quels termes ! « Nous avouons avec douleur et en rougissant que c’est un homme qui porte encore les marques funestes de ses débauches et qui, déguisé en saltimbanque, traîne avec lui de village en village, et de montagne en montagne, la malheureuse [...] dont il a exposé les enfants à la porte d’un hôpital, en rejetant les soins qu’une personne charitable voulait avoir d’eux, et en abjurant tous les sentiments de la nature comme il dépouille ceux de l’honneur et de la religion. »
Désormais, Voltaire n’aura plus de mots assez durs pour fustiger Jean-Jacques, « ce monstre de vanité et de contradiction, d’orgueil et de bassesse », ce « scélérat », ce « petit singe ingrat », « destiné à tomber dans un éternel oubli », « né dans la fange, pétri de tout l’orgueil de la sottise ». En 1768, avec les vers burlesques de « La guerre civile de Genève », la haine est à son comble : « C’est de Rousseau le digne et noir palais / Là se tapit ce sombre énergumène/ Cet ennemi de la nature humaine / Pétri d’orgueil et dévoré de fiel / Il fuit le monde et craint de voir le ciel. » Le couple Thérèse-Jean-Jacques devient carrément satanique, et le ton de Voltaire est crispé de fureur : « L’aversion pour la terre et les cieux / Tient lieu d’amour à ce couple odieux./ Si quelque fois, dans leurs ardeurs secrètes/ Leurs os pointus joignent leurs deux squelettes/ Dans leurs transports ils se pâment soudain/ Du seul plaisir de nuire au genre humain. »
Tout est dit. Durant les dix dernières années qu’ils auront encore à vivre (ils meurent en effet la même année, en 1778), les deux philosophes s’ignoreront définitivement.
Epilogue
Où sont évoqués quelques débats de l’actualité.
Et pourtant-ironie de l’Histoire ?-, après s’être tant haïs, les voilà donc qui reposent à quelques mètres l’un de l’autre, depuis plus de deux siècles et sans doute pour longtemps encore. Déclarés bienfaiteurs du genre humain, grands hommes de la nation, honorés de la considération universelle, dans cette crypte du Panthéon en apparence si tranquille, les deux philosophes ennemis se trouvent embaumés dans une gloire commune qui s’est employée à gommer leur duel.
Les traces en sont pourtant visibles un peu partout dans notre actualité. Car le duel entre eux se renouvelle et se perpétue, en sous-main, dans d’innombrables débats de l’heure concernant la nature, l’éducation, le savoir, la vie sociale, la réussite, l’argent, les sentiments, le plaisir, le pouvoir. Il suffit d’ouvrir les yeux pour voir que la France de 2008 n’en finit pas d’opposer descendants de Voltaire et disciples de Rousseau. Voyez les débats sur la médecine et la santé. Chez ceux qui dénoncent les techniques déshumanisantes, fustigent la sophistication néfaste des traitements, critiquent les abus pharmaceutiques, prônent l’efficacité des médecines douces et des thérapies traditionnelles, comment ne pas entendre la voix de Rousseau ? Et celle de Voltaire, comment ne pas la retrouver dans les arguments soulignant qu’on doit à la science l’allongement de la durée de la vie, l’amélioration de la santé mondiale, la régression des maladies mortelles, le perfectionnement des dépistages et des soins ?
Sans doute ne peut-on être sûr et certain que Voltaire soutiendrait les OGM et Rousseau l’intégrité du Larzac, mais il est sûr que leur duel se poursuit aujourd’hui, dans les débats autour de l’environnement, plus nettement que partout ailleurs. Rousseauiste, foncièrement, l’idée que notre industrie violente la planète, perturbe ses équilibres et saccage son ordre. Voltairiennes au contraire la méfiance envers le catastrophisme écologique ou bien la confiance dans les sciences et les techniques pour trouver des solutions aux problèmes qu’elles-mêmes suscitent.
Dès que l’on parle d’éducation s’opposent les tenants du développement de l’enfant à partir de ses capacités propres et les partisans de l’apprentissage nécessaire des connaissances de base. Les uns, lointains descendants d’Emile, souhaitent d’abord laisser la nature s’épanouir. Les autres, héritiers indirects du patriarche de Ferney, ne jurent que par les livres et l’enseignement transmis. Les jugements que l’on porte sur l’argent contiennent aussi, en filigrane, comme les anciens billets de banque, la figure de Voltaire ou celle de Rousseau. On trouve la première dans les discours qui jugent légitimes la propriété, les fortunes édifiées sur la spéculation, les plaisirs du luxe. La seconde se discerne quand on dénonce les inégalités colossales, l’insensibilité des nantis, les profits sans travail.
On retrouve encore les deux philosophes ennemis tapis dans des débats actuels relatifs à la paix mondiale, aux institutions internationales, au féminisme ou aux biotechnologies. Leurs altercations y prennent des formes diverses, parfois inattendues, mais on y décèle toujours, de manière récurrente, les deux postulats : celui de Voltaire-rudesse et dureté de la nature, améliorations possibles par la culture-et celui de Rousseau-autorégulation de la nature, déséquilibrée par la nocivité de la culture. Sans fin, on vous l’avait bien dit.
- posted on 08/07/2008
谢谢鹿希。读着有些吃力,我说motd是短小的。
Ce Voltaire-là devient vite l’auteur favori du tout jeune Jean-Jacques. Mieux : il constitue son modèle, son idéal d’écriture. Deux ans plus tard, en 1731, quand Jean-Jacques rejoint « Maman » à Chambéry et se lie d’amitié avec M. de Conzié, c’est l’enthousiasme : « Rien de ce qu’écrivait Voltaire ne nous échappait. » Dans « Les confessions », Rousseau reconnaît encore que les « Lettres philosophiques » de Voltaire, en 1734, fut le livre qui « l’attira le plus vers l’étude, et ce goût naissant ne s’éteignit plus depuis ce temps-là ». Indiscutablement, le jeune homme a pour son aîné admiration et même tendresse. « [...] et toi, touchant Voltaire / Ta lecture à mon coeur restera toujours chère ».
这还是榜样嘛。以后,青出于蓝,干干仗也无妨。
前回青冈转贴,爱因斯坦还跟恩师普朗克干上了。是谁说的,要文斗
,不要武斗。一点没有动静怎么行???
Touchant ?
Touché.
- Re: zt: 伏尔泰与卢梭, 掐不完的架posted on 08/07/2008
鹿老师开法语高级班?一定好好学!
伏尔泰与卢梭掐架,我偏向于前者。
伏尔泰的思想于我易接受,所以长期以来原著都没读,接受了二手评价。回家要补读。卢梭才大病深,危险人物。
克拉克勋爵的BBC电视系列《文明》中,称伏尔泰可以说是西方最智慧的人物。有待验证。
- Re: zt: 伏尔泰与卢梭, 掐不完的架posted on 08/07/2008
Yes, I like 伏尔泰, always think 卢梭 was a very sick person :-)
touche wrote:
鹿老师开法语高级班?一定好好学!
伏尔泰与卢梭掐架,我偏向于前者。
伏尔泰的思想于我易接受,所以长期以来原著都没读,接受了二手评价。回家要补读。卢梭才大病深,危险人物。
克拉克勋爵的BBC电视系列《文明》中,称伏尔泰可以说是西方最智慧的人物。有待验证。
- posted on 08/07/2008
xw wrote:
谢谢鹿希。读着有些吃力,我说motd是短小的。
什么是 motd ?
昨日没空,只顾按标题给你们推荐竖暑期读物了。
觉得老伏和老卢(看他尽在法国混,姑且算他法国人吧)正好代表法国启蒙时代的两路人,通俗点说象法国人文哲学观这枚货币的两面,放在一起就得掐,不放在一起又不完整。从古到今,法国法国人就是如此充满矛盾,一步三回头的 。话说回来,世界上哪旮哒的人生下来不磕碰就会走路呢?
一路是伏尔泰和他的哥们Diderot, 沿着Decartes,Pascal 等路子高举理性,平等,科学的旗子,认为人类是孺子可教的,宽容,科学,知识,哲学,独立思考等等可以帮助人类脱离野蛮,脱离王权,重建社会秩序。所以这派人特别热衷扫盲启蒙运动,编百科全书,写剧本,游说,希望救大众于愚昧, 比较乐观向上.
另一条路子是老卢提倡的,觉得人之初,性本善,都是社会制度给带坏的,回归自然有助于找回人的本性,得追根寻源,建立真正的社会平等契约,尊重自然,解放人性,天下大概便可太平了。这路较靠近愤青, 激进,看着社会不公,成天地着急,嫉世愤俗, 见不得既得利益者们.
用文章里的话说,这二位掐了半天其实各人的靶子不尽相同,开的方子也就不同. 之所以掐, 更多是对‘人’和‘人性’的定义以及二者的性格差异。 July 和 touche 同学表白了喜欢老伏非老卢, 这不难理解, 你想一个自卑的人, 有才怎么的?酸不拉唧, 唧唧歪歪, 加上命运坎坷, 常常寄人篱下, 自然容易生疑, 难与人相处. 而老伏不一样啊, 早就功成名就, 结交的都是皇亲国戚, 社会名流, 不愁吃不愁穿, 看得上谁啊? 要在信里,戏文里损个卢梭还不小菜一碟?
反正掐来掐去,两人老死不相往来,结果到头来还死在同一年,前后脚进先贤祠做了邻居。
切,还不到周末就唠叨这么多。打住。 - Re: zt: 伏尔泰与卢梭, 掐不完的架posted on 08/08/2008
luxi! 我要帮帮卢梭,看他被你们扁得。也许伏是胜者,但这个年代,losers control the world!
调侃就不必了,但才疏学浅只读过卢梭,而且是中文的!但similar minds attract 对不?人要首先面对自己才能面对世界,我只读懂了一部书,就是他的忏悔录,忏悔之后继续做坏事,并且要坏上加坏,吸取教训总结经验彻底坏到底,直到想不出其他花样继续坏下去,这就是我知道的生命力,因为我就是这样活下来的。 - posted on 08/08/2008
鹿希 wrote:
xw wrote:什么是 motd ?
谢谢鹿希。读着有些吃力,我说motd是短小的。
message of today, such as: Bon repas doit commencer par la faim.
昨日没空,只顾按标题给你们推荐竖暑期读物了。
觉得老伏和老卢(看他尽在法国混,姑且算他法国人吧)正好代表法国启蒙时代的两路人,通俗点说象法国人文哲学观这枚货币的两面,放在一起就得掐,不放在一起又不完整。从古到今,法国法国人就是如此充满矛盾,一步三回头的 。话说回来,世界上哪旮哒的人生下来不磕碰就会走路呢?
全世界都差不多,当年郁达夫就很卢梭,梁实秋是另一类。
托尔斯泰就喜欢卢梭,莫扎特贝多芬康德哥德叔本华,拜伦雪莱一直
到劳伦斯,卢梭一线可从来不冷落啊。
一路是伏尔泰和他的哥们Diderot, 沿着Decartes,Pascal 等路子高举理性,平等,科学的旗子,认为人类是孺子可教的,宽容,科学,知识,哲学,独立思考等等可以帮助人类脱离野蛮,脱离王权,重建社会秩序。所以这派人特别热衷扫盲启蒙运动,编百科全书,写剧本,游说,希望救大众于愚昧, 比较乐观向上.
大百科全书,卢梭也著述政治、音乐等部嘛。
这一线也理不清晰。Pascal后期还高举理性呀。我看是神性,有点癫狂
性,按现代医学说又是什么Schizophrenia。
另一条路子是老卢提倡的,觉得人之初,性本善,都是社会制度给带坏的,回归自然有助于找回人的本性,得追根寻源,建立真正的社会平等契约,尊重自然,解放人性,天下大概便可太平了。这路较靠近愤青, 激进,看着社会不公,成天地着急,嫉世愤俗, 见不得既得利益者们.
这话也概略性了一点。卢梭有一部《爱弥尔》,就是教育学上重要经
典,《爱弥尔》的孩子也不少,达尔文就是一位。这本书我读了不少
遍,一直在咖啡里向有孩子的父母推荐:
http://www.mayacafe.com/forum/topic1sp.php3?tkey=1109087935
用文章里的话说,这二位掐了半天其实各人的靶子不尽相同,开的方子也就不同. 之所以掐, 更多是对‘人’和‘人性’的定义以及二者的性格差异。 July 和 touche 同学表白了喜欢老伏非老卢, 这不难理解, 你想一个自卑的人, 有才怎么的?酸不拉唧, 唧唧歪歪, 加上命运坎坷, 常常寄人篱下, 自然容易生疑, 难与人相处. 而老伏不一样啊, 早就功成名就, 结交的都是皇亲国戚, 社会名流, 不愁吃不愁穿, 看得上谁啊? 要在信里,戏文里损个卢梭还不小菜一碟?
所以呢,老伏的扫盲启蒙,也有点经院式的。
鹿希不是迷列维-斯特劳斯嘛,这一段,我敲了很久的:
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对人类的问题思考越多,使我越确信,对这类问题的答案,除
了卢梭所提出的那个答案以外,别无其它答案。卢梭,遭受太
多的中伤,目前受人误解的程度远甚于任何其它时候,被荒谬
地控为曾经歌颂自然状态--狄德罗的确犯下歌颂自然状态的
错误,但是卢梭并没有--事实上卢梭所说的正好相反,他是
可以告诉我们如何逃出那个矛盾的惟一的思想家。到今天为止
我们仍然跟在卢梭的反对者后面陷在那个矛盾里摸索乱撞。卢
梭是所有十八世纪的哲学家里面最人类学的:虽然他从未到过
远方的土地,他的引证资料是他那时代的人所可能做到的程度
之内最为完整的,和伏尔泰不同,他赋予那些引证资料活泼的
生命,因为他对农民的习俗和流行的大众思想怀有一份热情的
好奇。卢梭是我们的大师和弟兄,对他我们是如此不知感恩,
要不是这份敬意和他伟大的名声并不相称,这本书的每一页都
应该可以说是题献给他的。我们将能够从人类学家的处境本身
带来的矛盾中脱离出来,惟一的办法是,经由我们自己的努力
,来重复卢梭所采取的步骤。卢梭的步骤使他得以从《论不平
等的起源》(Discours sur l'origine de l'inegalite)所留下的一片荒
废之中往前迈进,而建造出《社会契约论》(Contrat Social)这
样宏伟的结构,其中的秘密则在《爱弥儿》(Emile)里面表露
出来。是卢梭他教导我们,把所有的社会组织形式都拆散以后
,我们仍然可以发现能让我们拿来建造一个新的组织形式的各
项原则。
卢梭从来没犯过狄德罗所犯的把自然人理想化的错误。他从来
不会有把自然状态与社会状态相互混淆不清的危险;他知道社
会状态本来就存在于人类身上,但社会状态导致罪恶;惟一的
问题是要去弄明白到底这些罪恶本身是否本来就存在于社会状
态之中。要弄明白就表示要越过种种腐败与犯罪,去找出人类
社会的无法动摇的基础。
对于这样的追寻工作,人类学的比较研究可以在两方面有所帮
助。它表明那个基础无法在我们的文明里面找到:在所有已知
的社会里面,我们的社会无疑是离开那个基础最为遥远的一个
。与此同时,经由理出大多数的人类社会所共有的特征,可以
帮助我们提出一个范型,没有任何一个社会是那个范型的真实
体现,不过那个范型指出我们的研究工作所该追随的方向。卢
梭认为我们今天称之为新石器时代的生活方式代表着最接近那
个范型的一个实验性的体现。人们也许会,也许不会同意他的
想法。我自己则倾向于相信他是对的。到新石器时代的时候,
人类已经发明了人类安全所需的大部份发明。我们已讨论过,
为什么可以把书写文字排除在那些必须的发明之外;认为书写
文字是一柄双刃剑并不代表原始主义;这种想法的真实性已由
当代的“自动反馈学家”(cyberneticians)再次发现。在新石器
时代,人类知道如何使自己免于寒冷与饥饿;人类也已取得休
闲时间可用来思考;无疑的当时人类对疾病仍然束手无策,但
是我们仍然不能确定,卫生的改进除了把维持人口均衡的责任
由流行病的身上(流行病这种维持人口均衡的办法并不会比其
他任何办法更恐怖)转嫁到象广泛遍布的饥荒以及灭种战争等等
现象之上以外,不产生了什么别的结果出来。
在那个神秘的新石器时代,人类并不比目前更自由;但是使他
成为奴隶的只不过是他的人性。由于他对自然的控制力量仍然
相当有限,他也就受到做梦这个安全垫的保护,也在相当程度
上从奴役中解放出来。当这些梦都变成知识以后,人类的力量
也就增加,变成是值得自傲的原因之一;然而这个力量,把我
们向宇宙渐渐推进,自然只不过是我们在主观上意识到人类整
个物质宇宙正在渐渐汇合成一体罢了,物质宇宙强大的因果决
定性的规律,已不再是遥不可及、令人惊叹了,那些因果决定
性的规律现在正利用思想本身来做为居间的媒介,正在替一个
沉寂无声的世界把我们殖民化,而我们自己已经变成是那个无
声世界的代理人。
卢梭相信,如果人类能够“在原始社会状态的懒惰与我们自遵
自大所导致的无法抑制的忙忙碌碌之间维持一个快乐的调和”
状态,会对人类的幸福更为有利,他相信这种情况对人类最好
,而人类之所以离开那种状态,乃是由于“某些不愉快的意外
机会”,这机会当然就是机械化,机械化是双重的意外现象,
因为它是特殊惟一的,同时又是晚近才出现的。毫无疑问,卢
梭这个想法是正确的。然而,不论如何,这个中间状态很清楚
的并不是一种原始状态,因为它假定,同时承认一定程度的进
步;而没有任何一个已知的社会可以说是这种状态异常真确的
具现,即使如果“野蛮人的例子,野蛮人被证实为都处于此一
阶段,似乎也证实人类本来就一直想要停留在这个阶段里面”。
研究这些野蛮人并不会使我们发现一个乌托帮的自然状态,也
不会让我们在丛林深处发现完美的社会;它只能帮助我们建构
一个人类社会的理论模型,这个模型不和任何可以观察得到的
现实完全一致,不过借着它的帮助,我们也许可以成功地区分
“在人类目前的天性中,什么是始原性的,什么是人为的;取
得有关于一种状态的知识,那种状态已不存在,可能从来没存
在过,将来也可能永远不会存在,不过仍然还是必须对该种状
态具有一个正确的概念,这非常重要,如果我们要能够对我们
目前的状态做一个正确有效的评断的话。”卢梭的思想,一直
都是走在他时代的前面,并不把理论社会学与实验室里面的研
究或田野中的研究分开使其不相关联,他了解到田野工作是必
要的。自然人并不是先于社会而存在,也不是在社会之外存在
。我们的任务是重新发现人类含蕴在社会状态里面的那个形式
,在社会之外的人类是无法想象的;这表示要设计出一套实验
计划,为了得到有关于自然人的知识便不得不设计出一套实验
计划,还要决定“一些方法以便于能够在社会内部去进行那些
实验”。
然而那个模型--这是卢梭的解决办法--是恒久性的、普遍
性的。其他的社会或许并不比我们自己的更好;即使我们倾向
于相信他们事实上确是更好,我们手边也没有任何方法可以证
明这一点。然而,能够啬对其他社会的了解的话,就使我们能
够从我们自己的社会割离开来。这并不是因为我们的社会是特
别坏,或是绝对的坏。但是它是我们有责任要把自己从其中解
放出来的惟一的一个社会:依照定义,我们的自由是在与别人
的关系之中。这样我们就可以进入第二阶段,即是使用所有的
社会--但并不从其中任何社会采取任何性质--来说明社会
生活的原则,我们可用来改革我们自己的习俗,但不是用来改
革异社会的习俗:使用和我们刚刚提到过的那项特权完全相反
的特权,只有我们自己所属的那个社会我们才能加以改造而不
必冒任何在改造过程中加以毁来的危险,因为那些改变,既然
是我们自己所引动的,也就来自社会本身。
用一个独立于时空之外的模型做灵感之源,我们当然是冒着一
项危险:我们可能低估了进步的真实性。这就好象我们是在宣
称人类一直都是,而且在任何地方都一样,在进行同样的工作
想要达成同样的目标,因此,在整个人类的历史过程中,不同
的只是所使用的方法罢了。我承认这种看法并不使我忧虑;我
认为这种看法似乎和事实最为符合,和历史与人类学所显明出
来的事实最为符合,但最重要的是,这种看法似乎是最有结果
的想法。那些热情赞同进步这个概念的人大有无法了解人类所
累积的无比财富的危险。由于他们并不怎么了解,便低估了人
类在他们所注目的那条窄窄的轨道两旁所累积的可观财富;由
于他们低估过去所取得的成就,他们也就把那些仍然需要达就
的价值全部贬值。如果人类所关心的一直都只有一件事--如
何创造一个可以在其中生活的社会--那些启示过我们的远古
祖先的力量就也存在我们身上。没有任何事情是已成定局;一
切都还可以必变。已经做过的,但却发现是做错的那些,可以
重新来过。“黄金年代,盲目迷信把它放在我们的过去(或在我
们见不到的未来),事实上就在我们自己里面。”全人类都是兄
弟这样的话就会具有实际意义,如果它能使我们在最穷困的社
会中找到我们自己影像的一种确证,找到一种经验,其中的教
训我们可以吸收同化,和很多其他的教训一样被吸收同化。我
们甚至可能在这些教训里面发现到一种始原性的清新之感。既
然我们知道,好几千年下来,人类只不过是成功地一再重复自
己,我们将可达到一种思想上的尊贵,其中包括追溯到所有那
些一再重复的背后,把人类在最开始时那种无法界的华丽伟大
看做是我们思考的想点。作为人类对我们每一个个别的人而言
,也就表示我们属于一个阶级、一个社会、一个国家、一个大
块和一个文明;而对我们这些欧洲土地的居民来说,在新世界
的中心所进行的冒险之意义是:首先,那个世界不是我们的,
我们对那个世界的被毁来这项罪恶要负责任;其次,再也不会
有另外一个新世界:既然旧世界与新世界的对立使我们因此意
识到我们自己,让我们至少用它原本的名词把它表达出来,表
达的地点则是那个地点,在那里我们的世界丧失掉新世界所提
供的一个机会,没能在各个不同的传教站之间做选择。
======
注:新世界指南北美洲大陆,旧世界指欧亚非大陆。
此段选自法-美人类学家列维*斯特劳斯的《忧郁的热带》第
三十八章后半。一九五五年初版,王志明译,三联书社。
http://www.mayacafe.com/forum/topic1sp.php3?tkey=1058993708
反正掐来掐去,两人老死不相往来,结果到头来还死在同一年,前后脚进先贤祠做了邻居。
切,还不到周末就唠叨这么多。打住。
掐吧掐吧,咖啡就是从卢梭掐出来的,还有个尼采,
这个得承认。 - Re: zt: 伏尔泰与卢梭, 掐不完的架posted on 08/08/2008
随便比附。伏尔泰若是鲁迅,卢梭便是胡兰成。;)
不过中国两个都不能算世界级文化人物。
我说过西方文化史中的三大病才便是卢梭,瓦格纳和尼采。 - posted on 08/08/2008
touche wrote:
随便比附。伏尔泰若是鲁迅,卢梭便是胡兰成。;)
我觉得调个个才对。胡不是当大官嘛,生运也佳,天文地理包括原子
物理都敢瞎论,里通外国。这个有老伏的能耐,腓特烈,叶卡娜琳娜
,牛顿笛卡尔,看来我还得补读老伏。
老伏的“憨弟德”确实写得草率!
不过中国两个都不能算世界级文化人物。
我说过西方文化史中的三大病才便是卢梭,瓦格纳和尼采。
这个有点对。如果要细论,玛雅问病诗人,,,还是尼采说的妙:
文明本身即是一种病。
- posted on 08/08/2008
xw wrote:
鹿希不是迷列维-斯特劳斯嘛,这一段,我敲了很久的:
well, if I like A, A likes or mentions B ≠ I should like B as well.
In addition, I wouldn't state that I don't like Rousseau but Voltaire, both are 'monstres intellectuels', I just list the most significant differences between them. But if there is something I like about Rousseau more than Voltaire, is his ‘ anti-conformism’ while Voltaire represents so squarely conformism and establishment..…..
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